La fin?

Breiz ne se sentait pas bien du tout. Toute la journée, elle avait été patraque. Elle avait des crampes au ventre. Elle était inquiète mais n'avait vu aucune amie assez longtemps pour partager ses craintes.

Elle avait passé un moment dans sa taverne, fort calme pour une fois, et était finalement rentrée chez elle. Ses crampes s'intensifiaient et les habitués savaient se servir.

Elle se coucha sans attendre, recroquevillée dans un coin du lit. Et finit par s'assoupir.

Elle se réveilla une heure plus tard, en sursaut. Un douleur plus violente finit par lui confirmer ce qu'elle savait depuis longtemps mais qu'elle refusait d'admettre. Elle n'était plus enceinte. Elle resta prostrée dans son lit, incapable de remuer, de... se lever c'était contempler sa perte... c'était admettre... c'était...

Elle se leva comme une automate et changea les draps du lit. Il fallait bien qu'elle le fasse. Shirase n'était pas encore rentré et il serait fatigué. Il fallait bien qu'elle...

Elle descendit, mit de l'eau à chauffer dans la grande cheminée et remplit petit à petit le baquet. Elle se déshabilla et jeta ses vêtement de nuit au feu, avec les draps souillés. Elle entra dans la baignoire et se lava.
Là, debout dans l'eau tiède, elle pleura enfin.

La journée était glaciale et le givre recouvrait tout.
Ses pas crissaient dans la neige mais le froid ne l'avait pas empêchée d'aller faire un tour sur le lac..
et sur l'île où elle allait tous les jours poser une fleur ou juste parler un peu avec sa mère.
Elle lui manquait tant !
Au retour elle avait posé sa ligne un court instant, juste le temps de sortir une belle truite
trompée par le leurre.
Elle décida d'aller l'offrir à Breiz qui hier ne lui avait pas semblé en grande forme.
Elle toqua à la porte et attendit un instant mais personne ne lui répondit.
Elle se dit que Breiz ne se facherait pas si elle entrait poser juste le panier sur la table de la cuisine
et elle entra doucement dans la pièce silencieuse dont les battants tirés ne laissaient filtrer que peu de lumière.
C'est alors qu'elle entendit des sanglots qui venaient d'une autre pièce.
Elle hésita un instant. Par souci de discretion elle eut envi de sortir en catimini
mais il lui fendait le coeur de laisser quelqu'un dans la peine.
Un sanglot plus déchirant que les autres la décida à aller frapper doucement à la porte.

- Breiz ?

Le silence se fit aussitôt et elle entendit nettement le bruit de l'eau que l'on agite.

- Breiz.... que se passe t'il ? Répond enfin... Breiz ? Puis-je entrer ?

Elle était toujours debout, sanglottant au milieu du bain refroidi. Le linge qu'elle avait jeté au feu achevait de se consumer dans un grésillement sinistre.
Shirase n'était pas rentré. Il travaillait dur pour qu'elle ait le temps de se reposer et de préparer l'arrivée du bébé. Le bébé...

Les larmes redoublèrent.

Elle entendit que l'on entrait, s'approchait de la porte. Elle reconnut la voix de Fufu:

- Breiz.... que se passe t'il ? Répond enfin... Breiz ? Puis-je entrer ?

Elle ne répondit pas. Elle n'en avait plus la force, ni le souffle. Peut-être que Fufu entrerait. Peut-être qu'elle...

Elle, elle ne pouvait pas bouger. Elle ne pouvait pas... Elle n'arrivait pas à formuler les mots. Pas encore. Pas tout de suite... Mais il fallait bien... Elle ne pouvait pas rester...

Elle se mordit la lèvre. Elle espérait que Fufu entrerait. Parce qu'il fallait qu'elle bouge mais que seule, elle ne pouvait pas.

Plus aucun son ne filtrait à travers l’épaisse porte de bois.
Pourtant, les sanglots déchirants qu’elle avait entendus un instant plus tôt provenaient bien de cette pièce,
elle aurait pu en jurer, tant son oreille s’était exercée au fil de ses voyages à capter le moindre bruit suspect.
Son instinct lui dicta de pousser la porte tout doucement
ainsi donc Breiz, car par un instant Fufu ne douta que ce fut d’elle qu’il s’agit,
Breiz aurait pu lui interdire l’accès d’un seul mot.
Ce mot ne fut pas prononcé, aussi passa t’elle la tête par l’entrebâillement de la porte
pour découvrir la jeune femme debout dans un grand baquet d’eau au centre de ce qui s’avéra être sa chambre.
Son visage était défait et elle semblait hagarde.
Sur le dos d’un fauteuil Fufu se saisit d’une longue chemise blanche
qu’elle jeta sur les épaules de Breiz :
il serait temps plus tard de la lui faire enfiler.
Puis elle la pressa de sortir de l’eau et la conduisit devant la cheminée
où elle la fit s’asseoir. La jeune femme n’opposa aucune résistance et se laissa conduire.

- Ca va aller Breiz… tout va bien maintenant… ça va aller…

Après avoir jeté du bois dans la cheminée,
elle descendit rapidement à la cuisine préparer une tisane dont elle fit boire quelques gorgées à Breiz.
La jeune femme n’avait pas bougé, les yeux perdus sur les flammes qui mordaient les bûches crépitantes.

Fufu prit place près d’elle, à même le sol et se mit à fredonner une mélopée.
Il serait temps, plus tard, de comprendre ce qui avait provoqué un tel chagrin.
Plus tard… Fufu savait trop bien que, parfois, on est si englouti dans sa peine,
que nul ne peut nous y atteindre.
Sa voix cristalline semblait rythmer la respiration de Breiz qui s’apaisa un peu.
En cet instant, comme en tout lieu et en tout temps, elle songea à sa mère qui savait si bien,
d’un seul regard comprendre sa peine et d’une simple pression de la main l’apaiser.
Une fois encore elle ferma son esprit pour ne pas sombrer et prit la main de Breiz qu’elle serra.
Si elle voulait aider Breiz, il allait lui falloir s’oublier.
Elle regarda la jeune fille et lui sourit.

- Ca va aller…tu verras.

Fufu entra dans la pièce.

Elle soupira imperceptiblement. Elle n'était plus seule. Elle ne pouvait pas encore parler. Pas tout de suite. Pas maintenant.

Elle se laissa guider. Une chemise sur ses épaules. La tiédeur du feu. Une tasse chaude au creux de ses mains. Elle but quelques gorgées. La voix de Fufu. Elle chantonnait. Pas besoin de se concentrer pour comprendre. Juste la voix. Elle restait silencieuse. Elle ne pensait pas.

Puis Fufu parla:
Ca va aller…tu verras.

Elle hocha imperceptiblement la tête. Et fixa de nouveau le feu, incapable de dire. Elle attendait.

Durant toute la journée, Shirase avait eu un mauvais pressentiment, quelque chose de terrible allait se produire. Aux moindres mouvements, il faisait attention à ce qu'il faisait. Mais rien, rien n'arriva pour le moment, et il espérait vivement que cette intuition était fausse.

Au soir, il rentra à la maison avec des inquiétudes, se demandant bien ce qu'il pourrait arriver.Pendant tout le chemin, il avait l'impression que les couleurs autour de lui étaient devenues âcres, ternes, sans vie.....

Arrivé à destination, il poussa la porte et entendit une chansonnette, venant de fufu. À côté d'elle se trouvait Breiz, son regard perdu dans le feu.

Il sentit que quelque chose s’était passé, et courra vers elle laissant ses affaires prés de la porte, pour l'étreindre, et la reconforté quoi qu'il était survenu.

Elle l'entendit entrer et tourna vers lui son regard vide. Elle se leva, laissant la chemise que Fufu lui avait jetée sur les épaules glisser au sol. Elle se laissa étreindre, raide comme un piquet. Et son visage enfoui dans le cou de celui qui ne serait pas père, elle chuchotta les mots qui résonnaient dans sa tête:

Je ne suis plus enceinte.

Et sans le regarder, elle se dégagea, enfila la chemise qui trainait au sol et se rassit près du feu.

Elle l'avait dit.

A l'arrivée de Shirase, elle s'était levée et discrétement,
après avoir posé sa main sur le bras de cet homme que le malheur frappait,
elle quitta la maison.
Breiz était entre les meilleures mains possible.
Tous les deux partageaient le même chagrin, pour l'instant elle n'avait pas besoin de sa présence.
Demain peut être...
Sans même s'en être rendu compte, ses pas la conduisirent vers le ponton.
Elle prit sa barque et rama vers l'île.

Shirase resta debout sans bouger, ces mots se fracassant encore dans sa tette, il ne voulait pas l'admettre, c’était pas possible, lui qui allait être pére, mais voila, c’était fini.

Il s'imagina en train de crier à travers les plaines, pour calmer sa douleur ....

Mais la maintenant... rien ne sortit, pas un mot.

Il prit une couverture, et couvrit Breiz, sans la regarder et en profita pour ravir le feu.Elle n'y était pour rien et il le savait.

Mais ne pouvant contenir sa douleur, d'un bond il frappa de toute ces forces dans le mur , et souffla.

Elle ne pouvait pas affronter sa douleur à lui. Elle se leva, sans rien dire, et monta comme une automate vers leur chambre.

Elle se coucha, le plus près possible du bord du lit, recroquevillée, tournant résolument le dos au côté du lit où Shirase viendrait peut être chercher le sommeil.

Plus rien ne serait comme avant. Elle le savait.

Shirase préféra de ne pas monter tout de suite, il fallait qu'il se calme.
Il se posa devant le feu et le regarda crépiter tout doucement, en pensant à ce qu'il venait de perdre.Pourquoi, pourquoi un tel malheur..... tout se passé si bien....


La nuit avait bien commencé quand il commença à ressentir la fatigue, le feu presque éteint, il monta sans faire de bruit et s'écroula sur le lit sans un mot.

Elle ne dormait pas quand il monta finalement se coucher, des heures plus tard.

Il faisait presque jour. Elle attendit un moment, pour être sure qu'il dorme, et se releva. Elle s'habilla sans un bruit et se rendit au Temple de la bougresse d'Aristote, son deuxième foyer.

Au moins, là bas, elle n'aurait pas à affronter sa souffrance à lui. Et elle pourrait peut être même oublier la sienne par moments, si des clients amusants venaient à passer.

Elle était rentrée, avait dormi, était retournée travailler... plusieurs jours de suite. Ils n'avaient pas parlé. Rien. Pas un mot. Elle vivait. Petit à petit, mais elle vivait. Elle ne pensait surtout pas à sa perte, ne pensait surtout pas à la souffrance de Shirase, ne pensait surtout pas au vide dans son ventre, et remplissait sa vie des rires de ses amis.

Le samedi, après une soirée particulièrement remplie, l'idée de retourner dormir chez elle, de le trouver endormi à l'autre bout du lit, l'idée de le sentir s'agiter à la recherche du sommeil, ou pire, l'idée de le trouver éveillé, de lire dans ses yeux sa perte, leur perte, lui fut insuportable.
Elle resta dormir au Temple.

Il ne la chercha pas. Ni ce soir là, ni le lendemain, ni les jours suivants. Elle resta donc à l'auberge. Convaincue que tout était fini.

Voilà presque deux semaines que Shirase vivait comme un automate, ne pouvant dire un seul mot, il avait été sonné pendant tout ce temps.

Souvent en marchant autour de maçon, perdu dans ces songes, il se perdait, ne retrouvant le chemin que quelques jours plus tard, et loupant ainsi quelques repas.

Il revenait ainsi, un soir sur deux ou trois, à la maison, et se couchant directement, sans rien faire de plus, ne remarquant pas si Breiz était là ou pas. La maison était comme plongée dans un profond sommeil....

Vers la fin de la semaine, en fin de soirée, alors qu'il revenait d'une pêche infructueuse, il se perdit dans la brume qui s’était formée autour du lac. Ni un, ni deux, il se prit une branche d'arbre qui l'assomma en un coup.

À son réveil, la Lune, belle comme toujours, était déjà haute dans le ciel. Il se mit à contempler cette douce couleur qui émanait de celle-ci, essaya de l'attraper en tendant son bras et il sourira. Le premier depuis qu'on lui avait appris la mauvaise nouvelle.

Après avoir vainement tenté d'attraper la Lune, il se leva, souffla un bon coup. Prés de lui se trouvait le lac, qui faisait toujours des clapotis et se dit qu'il manquait quelques choses prés de lui.... ou plutôt quelqu'un. Ramassant ces affaires tombées sur le sol, il prit la direction ou il avait le plus de chance de la croiser... à la taverne...